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Mes aventures commencent souvent avant même que la course ne débute et ce BikingMan ne fait pas exception. Jeudi, alors que je m’efforce de débloquer la tige de selle afin d’emballer mon vélo, un craquement résonne dans mon épaule gauche, suivi d’une douleur intense, ce qui n’était clairement pas bon signe… étant déjà en retard pour rejoindre mon petit frère à Bordeaux afin de prendre l’avion le lendemain matin, pas le temps d’aller consulter un médecin ou un ostéo.

Le voyage débute avec une nuit difficile, la douleur à l’épaule toujours présente. Nous atterrissons à Marrakech, où la journée s’écoule entre installation, remontage des vélos et un rapide tour de ville. J’en profite pour consulter un kiné local. Son verdict : « Je vous déconseille de faire cette course. » Un coup dur. Mais peu importe, je décide de continuer. Il me donne du Doliprane et des anti-inflammatoires que je décide de ne pas prendre pour préserver mes reins (course d’ultra distance pas compatible avec ce type de médicaments), je me prépare donc mentalement a encaisser.

Le samedi, c’est le contrôle des vélos et le briefing du parcours. Cette année le parcours est resté mystérieux jusqu’à la veille du départ. En tant que néophyte sur ce genre d’épreuve, cela génère des milliards de questions : quels pneus choisir, où dormir, où trouver de l’eau ? La gestion du sommeil, du matériel, tout est sujet à réflexion. Les conseils des uns, des autres. Entre raison et performance, l’équilibre n’est pas simple.

Le grand départ est donné dimanche à midi, après une nuit compliquée. Le CP1 est au KM 152, dont 120 km de gravel avec 4000 mètres de dénivelé positif et des pourcentages dépassant les 20%. Un terrain qui s’annonce difficile, surtout avec mes 90 kg et une épaule douloureuse.

Le départ se passe bien, l’euphorie de la course me porte. La chaleur frappe fort, et mes réserves d’eau disparaissent rapidement. Malheureusement, j’ai raté le dernier magasin avant d’entamer l’ascension et je me retrouve sans eau sur la fin d’une montée interminable et rien dans les villages que l’on traverse. La douleur dans mon épaule m’empêche de bien contrôler mon vélo sur les sections techniques et tirer correctement sur le guidon lors des montées. J’atteins finalement le CP1 à l’économie, sans avoir explosé dès le premier jour, ce qui est au final un moindre mal.

Au CP1, l’ambiance est tendue : les enfants du village crient dans tous les sens, le patron du « restaurant » est en mode j’encaisse ce que je veux et les premiers sont déjà sur le départ. On nous annonce au passage dans le CP1 une modification du parcours en raison des récentes catastrophes naturelles. Après une pause rapide de 15minutes, je repars au début de la nuit, en 10e position environ, avec pour objectif de passer un col de 40 km culminant à plus de 2500 mètres et rejoindre le CP2 (KM 392) le matin. La traversée d’une rivière de nuit s’avère être une première vraie mission, le pont ayant été emporté par les inondations et après presque 30 minutes de galère, je parviens tant bien que mal à trouver un passage mais mes pieds sont trempés, recouverts de boue et de sable.

La montée du col est longue, mais relativement douce. Le froid devient mordant à mesure que l’altitude augmente, et je peine à trouver un endroit où dormir. Après avoir été repoussé assez fermement d’un village, je rencontre un autre participant avec qui je termine l’ascension. Nous passons le sommet ensemble, mais la descente dans le gravel de nuit est un calvaire pour mon épaule. Nous trouvons finalement un abri de fortune en altitude, devant une maison, où j’essaye de dormir un peu, bien que le froid nous empêche de réellement nous reposer.

Je repars finalement au bout d’une heure avec l’objectif d’atteindre le CP2 au KM 392, laissant mon compagnon se reposer un peu plus. Je m’arrête vers 5:30 dans la petite ville de Taznakht pour me ravitailler, dévalisant une boutique à peine ouverte (plus de 4h sans eau c’est long). Les jambes répondent bien, et je profite d’un vent favorable pour envoyer des kilomètres. Le lever du soleil est magique. Au CP2, je fais une pause pour réparer ma chaussure dont le système de serrage (BOA) a lâché. Cette petite mésaventure me coûte près d’une heure, mais je reprends la route avec l’idée de rallier le CP3 dans la nuit.

Le vent change, et les températures grimpent alors que je m’approche d’un passage désertique. Malgré tout, je parviens à maintenir un bon rythme, profitant des descentes et des paysages lunaires qui rappellent l’ouest américain. L’épaule tient bon sur les portions roulantes, et je m’efforce de rester concentré afin d’optimiser ce temps fort.

À l’approche d’Agdz (km 551), un nouveau coup dur nous attend : la course modifiée en raison de l’impraticabilité des pistes. Nous sommes quelques uns a partir sur un itinéraire bis mais nous sommes « rapidement » informés que le pont quelques kilomètres plus loin a été emporté lui aussi : Retour à Agdz, course neutralisée et attente des consignes. Moralement, c’est difficile 🙈. On se retrouve à 3 à attendre sur Agdz et on décide également d’attendre Lauriane, qui était partie sur la partie gravel impraticable, pour former un groupe afin de rejoindre le CP3 (KM 662) dans la nuit. Nous faisons les 130 km neutralisés ensemble, discutant et partageant nos expériences malgré la fatigue très présente et des débuts d’hallucinations.

Le troisième et dernier jour, après une courte nuit (1h), je repars avec la motivation de finir cette aventure. Le parcours est encore exigeant, mais les paysages sont à couper le souffle. Une ultime ascension à plus de 10% sur presque 10km me met à rude épreuve sous une chaleur accablante, et mon épaule recommence à me faire souffrir. Mais l’objectif est proche. Après une dernière section de gravel inattendue dans les salines et une crevaison lente à 10 km de l’arrivée, je franchis finalement la ligne d’arrivée à Marrakech, épuisé mais fier.

940km, 54 heures de course, 2 heures de sommeil, une 6ème place et un immense sentiment d’accomplissement. Un an presque jour pour jour après avoir été frappé par le syndrome de Guillain-Barré, ce BikingMan marque une étape importante dans mon cheminement personnel. Une IRM en rentrant confirme les douleurs de l’épaule, révélant une « Tendinopathie du supra-épineux avec fissuration à la face profonde de son enthèse s’étendant par un clivage intra-tendineux formant une formation kystique au sein de la jonction myotendineuse mesurant 5 x 18 mm », mais rien ne pourra effacer l’émotion de cette aventure.

Un grand merci à l’organisation du BikingMan et à tous les participants pour ces moments partagés, ainsi qu’aux « Race Angels » qui ont su nous apporter leur soutien tout au long du parcours.

La route fut longue, les nuits furent courtes mais quelle aventure incroyable !

Mathieu Plessis

Depuis l'âge de 6 ans, le vélo est une passion qui m'a guidé à travers de nombreuses disciplines. Après avoir débuté en BMX et décroché une 4ème place aux championnats du monde en 1987 avec l'équipe de France, j'ai évolué vers la route, le VTT et la piste, remportant de nombreux titres régionaux dans chaque discipline. Fin des années 90, j'ai intégré le team Look VTT. J'ai participé à de nombreuses compétitions régionales, nationales et internationales, avec de nombreuses victoires à la clé. J'ai également été champion de France militaire de VTT dans les années 2000. Après une pause professionnelle et familiale, je me consacre aujourd'hui au Gravel sous toutes ses formes : BikingMan, ultra-distance, Gravel Earth Series et coupes du monde UCI, qui m'ont permis une récente sélection pour les championnats du monde UCI de Gravel en 2024.